N
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otre "pays" se situe au centre. Il subit les
influences des climats océaniques et continentaux avec gelées, sécheresses,
averses. C'est une terre rude où les hommes auraient pu "élever la pauvreté à la hauteur d'une divinité".
C'est cette dureté qui fait le caractère des habitants, l'enracinement, la profondeur de leurs sentiments.
C'est cette dureté qui fait le caractère des habitants, l'enracinement, la profondeur de leurs sentiments.
S
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ur les flancs des Monts de Toulx, entre Boussac et les
Pierres Jaumâtres, dans une petite chaumière vivait il y a longtemps déjà un
homme seul. Il travaillait à la journée dans les fermes alentour, n'était pas
riche et s'appelait "Misère";
Une maison de deux pièces, couverte de chaume et le jardinet situé devant qui touchait le chemin était tout son bien.
Le jardin toujours travaillé possédait un seul arbre ; mais quel arbre ! Un très beau poirier qui donnait chaque année de magnifiques fruits que le père Misère dégustait avec plaisir et qui lui servaient également à rendre les cadeaux qu'on pouvait lui faire.
Ce poirier qu'il regardait souvent, assis sous la fenêtre sur une pierre en guise de banc, il en était fier : c'était aussi la cause de son seul souci.
Agé de plus de soixante ans, il continuait à travailler sans problème, ni pour sa santé, ni pour l'argent (il n'avait pas de grands besoins). Mais à la saison des poires, chaque année il avait les mêmes ennuis ; pendant son absence on lui volait ses poires.
...le temps passait...
Un jour, le soleil était déjà bas, le père Misère, assis sur sa pierre à fumer tranquillement la pipie (une pipe culottée d'un goût unique) voit arriver sur le chemin deux hommes assez grands vêtus de houppelandes avec de longs bâtons. "Des pélerins, pensa-t-il qui vont à Saint Jacques et qui ont perdu leur chemin". Ils avançaient lentement, visiblement fatigués.
- Oh les hommes ! Entrz donc, nous allons trinquer. Vous m'avez l'air épuisés, "que vos far pas d'mo"... Ainsi le père Misère offrit aux deux passants un peu de repos et de réconfort.
-Je ne suis pas riche mais il reste du vin, "n'so beranbe", du fromage, quelques noix, un peu de pain ; entrez, nous allons faire "quatre heures".
Il était bien six heures mais c'était une façon de parler.
Dans la pièce commune de sa chaumière, le vieux travailleur et ses invités se restaurent frugalement car les provisions partagées en trois, cela faisait peu, mais le geste y était ; les deux voyageurs appréciaient.
Après quelques échanges de leurs expériences réciproques, après l'énoncé d'une à deux tranches de vie, le moment est venu où les passants doivent repartir.
Ils se lèvent, leur hôte les accompagne jusqu'au chemin.
Au moment de la séparation, l'un deux parle :
- Père Misère, je voudrais faire quelque chose pour vous remercier de votre accueil ; exprimez un souhait, je vous promets qu'il sera exaucé.
Surpris, le père Misère fait savoir qu'il ne souhaite rien, que sa vie lui donne les joies qu'il attend...
L'autre insiste :
- Vous avez bien quelque chose qui vous gêne, qui vous cause parfois de la peine ?...
- Non rien, dit le père Misère, ce que je possède me suffit, et il montre sa maison, son jardin... Dans son geste, il voit le poirier.
- Ah si ! J'ai bien un petit problème mais il est peu important. Chaque année des garnements viennent me voler quelques poires.
- Eh bien, dit l'homme, soyez tranquille, on ne vous les volera plus !
Et les voyageurs partent...
Une maison de deux pièces, couverte de chaume et le jardinet situé devant qui touchait le chemin était tout son bien.
Le jardin toujours travaillé possédait un seul arbre ; mais quel arbre ! Un très beau poirier qui donnait chaque année de magnifiques fruits que le père Misère dégustait avec plaisir et qui lui servaient également à rendre les cadeaux qu'on pouvait lui faire.
Ce poirier qu'il regardait souvent, assis sous la fenêtre sur une pierre en guise de banc, il en était fier : c'était aussi la cause de son seul souci.
Agé de plus de soixante ans, il continuait à travailler sans problème, ni pour sa santé, ni pour l'argent (il n'avait pas de grands besoins). Mais à la saison des poires, chaque année il avait les mêmes ennuis ; pendant son absence on lui volait ses poires.
...le temps passait...
Un jour, le soleil était déjà bas, le père Misère, assis sur sa pierre à fumer tranquillement la pipie (une pipe culottée d'un goût unique) voit arriver sur le chemin deux hommes assez grands vêtus de houppelandes avec de longs bâtons. "Des pélerins, pensa-t-il qui vont à Saint Jacques et qui ont perdu leur chemin". Ils avançaient lentement, visiblement fatigués.
- Oh les hommes ! Entrz donc, nous allons trinquer. Vous m'avez l'air épuisés, "que vos far pas d'mo"... Ainsi le père Misère offrit aux deux passants un peu de repos et de réconfort.
-Je ne suis pas riche mais il reste du vin, "n'so beranbe", du fromage, quelques noix, un peu de pain ; entrez, nous allons faire "quatre heures".
Il était bien six heures mais c'était une façon de parler.
Dans la pièce commune de sa chaumière, le vieux travailleur et ses invités se restaurent frugalement car les provisions partagées en trois, cela faisait peu, mais le geste y était ; les deux voyageurs appréciaient.
Après quelques échanges de leurs expériences réciproques, après l'énoncé d'une à deux tranches de vie, le moment est venu où les passants doivent repartir.
Ils se lèvent, leur hôte les accompagne jusqu'au chemin.
Au moment de la séparation, l'un deux parle :
- Père Misère, je voudrais faire quelque chose pour vous remercier de votre accueil ; exprimez un souhait, je vous promets qu'il sera exaucé.
Surpris, le père Misère fait savoir qu'il ne souhaite rien, que sa vie lui donne les joies qu'il attend...
L'autre insiste :
- Vous avez bien quelque chose qui vous gêne, qui vous cause parfois de la peine ?...
- Non rien, dit le père Misère, ce que je possède me suffit, et il montre sa maison, son jardin... Dans son geste, il voit le poirier.
- Ah si ! J'ai bien un petit problème mais il est peu important. Chaque année des garnements viennent me voler quelques poires.
- Eh bien, dit l'homme, soyez tranquille, on ne vous les volera plus !
Et les voyageurs partent...
L
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es mois passent... A la saison des poires, le père Misère a
oublié la rencontre avec les deux pèlerins. Un matin, partant au travail, il
regarde son poirier. Les poires sont magnifiques cette année ; ce soir, celles
de cette branche seront bonnes à cueillir.
De retour chez lui vers dix-huit heures, une surprise attendait le père Misère.
Dans son poirier il trouve un garçon qui supplie :
- Père Misère, aidez-moi à descendre ; je voulais prendre quelques poires mais me voilà collé à l'arbre, je ne peux plus bouger.
De fait, le garçon, la main gauche accrochée à une branche, le bras tendu vers les poires, est plaqué au poirier.
Le père Misère se souvient alors de la promesse que lui avait faite le pèlerin, mais il la chasse de son esprit.
- Je ne suis pour rien dans ton affaire garçon, débrouille-toi, tu n'avais pas à venir chez moi.
L'autre insiste, lui dit que depuis des heures il essaye en vain de descendre.
- Mon petit, réplique Misère, s'il ne tenait qu'à moi, je te laisserais bien descendre... ; à ces mots le voleur est "libéré", il descend et prend la poudre d'escampette tout heureux d'être délivré.
Les jours passent et à trois reprises des enfants ou des "chemineaux" sont trouvés dans le poirier toujours collés au tronc ou aux branches au moment où ils allaient accomplir leur larcin, et chaque fois c'est en leur disant : "si ça ne tenait qu'à moi, je te laisserais bien descendre"... que le père Misère libérait ces voleurs n'ayant rien pu voler.
Alors dans la région, autour des Pierres Jaumâtres, la nouvelle se répand. Et, depuis de jour là, jamais plus personne n'est venu essayer de voler les pierres.
Les père Misère dut convenir que l'étrange voyageur avait tenu sa promesse, mais qui pouvait-il être ? La question est restée sans réponse.
De retour chez lui vers dix-huit heures, une surprise attendait le père Misère.
Dans son poirier il trouve un garçon qui supplie :
- Père Misère, aidez-moi à descendre ; je voulais prendre quelques poires mais me voilà collé à l'arbre, je ne peux plus bouger.
De fait, le garçon, la main gauche accrochée à une branche, le bras tendu vers les poires, est plaqué au poirier.
Le père Misère se souvient alors de la promesse que lui avait faite le pèlerin, mais il la chasse de son esprit.
- Je ne suis pour rien dans ton affaire garçon, débrouille-toi, tu n'avais pas à venir chez moi.
L'autre insiste, lui dit que depuis des heures il essaye en vain de descendre.
- Mon petit, réplique Misère, s'il ne tenait qu'à moi, je te laisserais bien descendre... ; à ces mots le voleur est "libéré", il descend et prend la poudre d'escampette tout heureux d'être délivré.
Les jours passent et à trois reprises des enfants ou des "chemineaux" sont trouvés dans le poirier toujours collés au tronc ou aux branches au moment où ils allaient accomplir leur larcin, et chaque fois c'est en leur disant : "si ça ne tenait qu'à moi, je te laisserais bien descendre"... que le père Misère libérait ces voleurs n'ayant rien pu voler.
Alors dans la région, autour des Pierres Jaumâtres, la nouvelle se répand. Et, depuis de jour là, jamais plus personne n'est venu essayer de voler les pierres.
Les père Misère dut convenir que l'étrange voyageur avait tenu sa promesse, mais qui pouvait-il être ? La question est restée sans réponse.
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es années passent... Le père Misère a maintenant 99 ans ; il
ne travaille plus mais on le voit souvent dans son jardin où il
"bricole" encore un peu. Le poirier est toujours là, en bon état.
Un soir, le vieux monsieur, qui appréciait beaucoup la tombée du jour pour les changements de couleurs sur les pentes des coteaux, sent sur son épaule de vieillard le poids d'une main ; il tourne la tête et se trouve face à la "faucheuse".
La faucheuse, c'est la mort, un simple squelette qui porte une faux our "faucher" nos vies.
Le dialogue s'engage :
- Que viens-tu faire ici ? Je suis encore vaillant et n'ai rien à faire avec toi, passe ton chemin, lui dit Misère.
- Pas du tout, j'ai beaucoup de travail cette nuit dans la région, en Asie, en Amérique... et tu es le premier de ma liste, alors...
- Alors rien du tout, je ne suis pas décidé.
- Allons père Misère, à 99 ans, tu as bien assez vécu !
Le vieux ruse... Il n'était pas préparé mais il réfléchit vite et il trouve :
- Écoute, à tout condamné, on offre le dernier verre ou la dernière cigarette !?!
- Oui d'accord. Que veux-tu, demande la Faucheuse ?
- Une dernière poire, de mon poirier, tu vois celle qui est là-bas ? Mais je suis trop vieux pour aller la cueillir, alors je te demande de le faire pour moi.
La Faucheuse grimpe dans le poirier dans le sinistre bruit des os qui s'entrechoquent. Accrochée à une grosse branche, elle tend sa main décharnée vers la poire, et... clac... comme les voleurs précédents, la voilà collée au poirier.
Le père Misère éclate de rire : "té vié-tu, et séb'inker bo à kokarre (ru vois, je suis encore bon à quelque chose)".
La Faucheuse secoue ses os dans un bruit infernal, elle s'agite pour li libérer ; rien à faire !
- Oh père Misère, dégage-moi ! J'ai beaucoup de travail et pas une minute à perdre.
- Non... seulement si tu promets de partir vite et loin sans t'occuper de moi.
- Mais non, tu es en tête sur la liste d'aujourd'hui, je dois le faire.
- Alors reste où tu es...
Après un grand moment et des efforts vains, la faucheuse accepte la condition.
- C'est entendu vieux malin, si tu me fais descendre de là, je ne m'occuperais plus jamais de toi.
Le père Misère vient de réussir son coup et il prononce la phrase :
- S'il ne tenait qu'à moi, je te laisserais bien descendre...
Dans un bruit d'os heurtant le bois, la Faucheuse se retrouve à terre, prend sa faux et file comme promis.
Un soir, le vieux monsieur, qui appréciait beaucoup la tombée du jour pour les changements de couleurs sur les pentes des coteaux, sent sur son épaule de vieillard le poids d'une main ; il tourne la tête et se trouve face à la "faucheuse".
La faucheuse, c'est la mort, un simple squelette qui porte une faux our "faucher" nos vies.
Le dialogue s'engage :
- Que viens-tu faire ici ? Je suis encore vaillant et n'ai rien à faire avec toi, passe ton chemin, lui dit Misère.
- Pas du tout, j'ai beaucoup de travail cette nuit dans la région, en Asie, en Amérique... et tu es le premier de ma liste, alors...
- Alors rien du tout, je ne suis pas décidé.
- Allons père Misère, à 99 ans, tu as bien assez vécu !
Le vieux ruse... Il n'était pas préparé mais il réfléchit vite et il trouve :
- Écoute, à tout condamné, on offre le dernier verre ou la dernière cigarette !?!
- Oui d'accord. Que veux-tu, demande la Faucheuse ?
- Une dernière poire, de mon poirier, tu vois celle qui est là-bas ? Mais je suis trop vieux pour aller la cueillir, alors je te demande de le faire pour moi.
La Faucheuse grimpe dans le poirier dans le sinistre bruit des os qui s'entrechoquent. Accrochée à une grosse branche, elle tend sa main décharnée vers la poire, et... clac... comme les voleurs précédents, la voilà collée au poirier.
Le père Misère éclate de rire : "té vié-tu, et séb'inker bo à kokarre (ru vois, je suis encore bon à quelque chose)".
La Faucheuse secoue ses os dans un bruit infernal, elle s'agite pour li libérer ; rien à faire !
- Oh père Misère, dégage-moi ! J'ai beaucoup de travail et pas une minute à perdre.
- Non... seulement si tu promets de partir vite et loin sans t'occuper de moi.
- Mais non, tu es en tête sur la liste d'aujourd'hui, je dois le faire.
- Alors reste où tu es...
Après un grand moment et des efforts vains, la faucheuse accepte la condition.
- C'est entendu vieux malin, si tu me fais descendre de là, je ne m'occuperais plus jamais de toi.
Le père Misère vient de réussir son coup et il prononce la phrase :
- S'il ne tenait qu'à moi, je te laisserais bien descendre...
Dans un bruit d'os heurtant le bois, la Faucheuse se retrouve à terre, prend sa faux et file comme promis.
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oilà pourquoi la Misère existe toujours dans notre
"pays" puisque la Faucheuse ne peut plus la tuer...
(Robert Le Labousse- Les Pierres Jaumâtres)
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